Trouver l'âme soeur : l'arme internet

Quelles sont les raisons de l’engouement pour les sites Internet comme alternative à la solitude ? Les chats, solution miracle ou leurre qui nous isolerait davantage ? Thierry Goguel d’Allondans, sociologue, débrouissaille pour nous la jungle qui a poussé sur le terreau du besoin d’amour.
Les nouveaux moyens de rencontres comme Internet (chats, sites de rencontres), sont-ils le reflet d’une société qui n’arrive plus à communiquer par voie orale ?
Les sociétés, dans leur histoire, n’ont jamais arrêté de progresser en matière de communication : on est loin des relais postaux à cheval, que diantre ! La communication se veut aujourd’hui plus rapide (temps réel) et plus fiable. Toutefois, nous ne sommes pas à l’abri d’un certain nombre de paradoxes : est-ce que le temps réel ménage, comme il faudrait, les scansions, les respirations nécessaires ? Par ailleurs, on sait que sur Internet les informations sont tout, sauf aisément vérifiables ! À n’en pas douter, les rencontres par le Web constituent aujourd’hui de nouvelles modalités d’entrée en relation : nous avons tous des exemples, y compris très heureux, de rencontres amicales, amoureuses ou autres permises par ce nouvel outil. Pascal Lardellier a consacré un très beau livre («Le cœur NET. Célibat et amours sur le Web», Paris, Editions Belin, collection Nouveaux Mondes, 2004) à ce sujet. Donc, oui, vous pouvez additionner (sourires) ! c’est bien une solution de plus.
Quelques bémols toutefois par rapport à votre question: je crois que nous sommes au contraire dans un temps social qui fait la part belle à l’oralité au détriment de l’épistolaire. Songeons simplement à la révolution des téléphones cellulaires qui envahissent notre quotidien, voire le polluent gaillardement ! Et puis une autre hypothèse serait que nos cercles relationnels sont moins propices que jadis aux rencontres amoureuses : autrefois on se rencontrait souvent sur son lieu de travail, alors qu’ aujourd’hui c’est mal vu ; lors d’une enquête sociologique, beaucoup de jeunes nous ont aussi confié que leur cercle amical tolérait mal des relations amoureuses en son sein ! Enfin, il faudrait interroger la notion de célibat qui, choisi ou non, devient désormais un mode de vie parmi d’autres.
Assistons-nous à la renaissance des relations épistolaires?
Hummmm, je n’en suis pas sûr… C’est sans doute un nouveau langage mais c’est encore de l’oralité. Je pense souvent à cette professeure, lorsque j’étais adolescent, qui nous consacrait du temps pour répondre à nos questions existentielles. Toutefois, elle nous avait intimé de toujours lui demander un rendez-vous par écrit et non par téléphone car, disait-elle, « Le téléphone n’est que le prolongement de la main, le stylo est le prolongement de la pensée ! » Notre siècle naissant ne s’intéresse plus à la correspondance, à part les cartes postales (rires) ! Pensez à tous ces auteurs dont nous avons savouré les correspondances, Montaigne et La Boétie, Freud et Fliess, etc. Récemment, j’ai proposé à un de mes éditeurs un livre de correspondances, ça a été refusé : invendable ! Ce qui nourrit une correspondance c’est d’abord le temps de maturation de la réponse. Il y a toutefois, sur le Net, quelque chose qui me semble tenir à ce besoin de relations épistolaires c’est les blogs de nos adolescents. Évidemment c’est un peu succinct et souvent émaillé de locutions approximatives, mais ça crée du lien et ça cultive l’art du commentaire qui est une des versions de l’art épistolaire.
Pensez-vous qu’il soit plus facile de communiquer par écrit, car on passe tout de suite pour quelqu’un de «lourd» si l’on drague ouvertement?
Ah ça c’est encore autre chose ! Au-delà des styles singuliers (timide ou bravache), ça n’a jamais été facile d’aborder un(e) inconnu(e) mais il pouvait y avoir des codes ou des stratégies socialement admises : la danse, par exemple, ouvrait à cet espace de rencontre. Aujourd’hui, dans un monde de plus en plus complexe, les modes d’entrée en relation se sont complexifiées aussi. Il y aurait, par exemple, beaucoup à dire sur la dégradation des rapports garçons/filles, hommes/femmes. Alors, certaines formes d’écrit protègent… Même dans les discothèques, on trouve maintenant, de nouvelles formes de contact. Les soirées « La poste » illustrent cela : à l’entrée d’un bar, vous épinglez un numéro sur votre chemise. N’importe qui peut écrire à ce numéro, de même que vous pouvez confier à un « postier » du lieu une missive pour un autre numéro. L’aspect ludique permet d’éviter le risque d’une fin brutale de non-recevoir. Ces stratégies permettent de dépasser un handicap vécu, réel ou imaginaire. C’est aussi ce que permet l’écran (entendu comme filtre) de votre ordinateur. Nous vivons dans l’illusion que nous pouvons minimiser le risque à cet endroit, or toute rencontre comporte un risque car, ultimement, elle est détournement de soi.
Les homos sont souvent isolés, surtout quand ils n’ont pas encore fait leur coming-out. Que pensez-vous du rôle des nouveaux moyens de communication dans leur cas?
J’ai toujours été frappé par le fréquent recul affiché par rapport à un « milieu » (comme dans des annonces du style « JH hors milieu cherche… »), un milieu perçu comme une ghettoïsation ou semblant trop éloigné d’un vécu. En ce sens je me réjouis de l’éclatement des cercles (il n’y a plus un milieu mais des milieux !) et les nouveaux moyens de communication en ont produit aussi. Ceci dit il y a quand même, en France, un retard incroyable (des grandes villes n’offrent quasiment pas de lieux festifs à un public spécifiquement homosexuel). Il faut, par exemple, visiter le village à Montréal pour mesurer ces écarts. Évidemment le coming-out ou l’incognito va modifier les perspectives et les possibles. Il n’est pas si loin le temps où Gide optait pour un mariage de convenance avec sa cousine Madeleine, tout en collectionnant furtivement des amants de passage. Et n’oublions pas que si certains débats de société nous remplissent d’espoir, nos sociétés du paradoxe cultivent encore bien des discriminations : on peut ainsi voir poindre un mariage homosexuel dans un pays qui connaît une recrudescence d’agressions homophobes !
Les problématiques de la rencontre ne sont pas spécifiques aux gays et aux lesbiennes, mais il y a une spécificité des homos par rapport à la rencontre. Autrement dit : ce n’est pas parce qu’il y aurait, à un endroit, 500 femmes à la recherche d’un homme et 500 hommes à la recherche d’une femme que nous aurons 500 couples demain ! Il y a, dans un autre ordre d’idées, en période de chômage, des offres d’emploi qui ne rencontrent aucune demande ! Donc, chacun-e va composer avec les outils que son histoire, sa condition, ses environnements, etc, lui auront prodigués. Parfois aussi il faut se construire ses propres outils. La condition homosexuelle, en particulier, nécessite cette inventivité, cette créativité, pour survivre.
Entretien réalisé par Marjorie Marcillac.Thierry Goguel d’Allondans est anthropologue, docteur et chercheur associé de l’Université Marc Bloch (Strasbourg III). Auteur de nombreux ouvrages : Anthropo-logiques d’un travailleur social - Passeurs, passages, passants - traité de l’ouverture des cages - Rites de passage, rites d’initiation…

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