Gays-lesbiennes : vers la réconciliation ?

Faire péter les barrières, cloisonner, décloisonner, mixer, opposer, réconcilier… Quand il s’agit de s’interroger sur la nature du lien entre lesbiennes et gays, chacun(e) tricote sa théorie en fonction de son parcours, voire de son intérêt personnel. Les adeptes de la non-mixité sont vilipendé(e)s, les chantres du « on est tous égaux » peinent à convaincre. Avant de soigner, il faut diagnostiquer car s’il n’y a pas de rupture entre les gays et les lesbiennes, les solutions buvables seraient du poison. Si scission il y a, les mentions « gays bienvenus » ou « lesbiennes bienvenues » seraient un placebo qui ne servirait à rien d’autre qu’à se gargariser d’une ouverture utopique. Marie-Hélène Bourcier, sociologue, dynamite les concepts rigides et désigne l’ennemi avant de décloisonner.

La difficulté de communication entre les gays et lesbiennes est-elle une réalité ou une élucubration ?
MH Bourcier : Quels gays et quelles lesbiennes ? Historiquement, il est tout à fait possible de repérer des moments de rupture mais pas au sens matrimonial ou communicationnel un peu psy du terme. L’explication est politique au sens fort, puisque c’est généralement lorsque les rapports de pouvoir deviennent asymétriques au détriment des lesbiennes bien sûr, que ça pète : ainsi dans les années 70, avec le Fhar, inventé par des féministes lesbiennes rappelons-le.Les lesbiennes quittent une structure quand elles rencontrent les mêmes problèmes que les autres femmes : on ne les laisse pas parler, elles sont renvoyées à des tâches subalternes. Des lesbiennes qui avaient milité à gauche ont alors opté pour des solutions séparatistes et des politiques féministes souvent alignées sur les politiques féministes hétérosexuelles qui les ont éloignées des gais sauf quand ceux-ci luttaient de concert contre les hétéroflics et s’identifiaient comme «hystériques». De nos jours, on se fait plutôt traiter d’hystérique par certains gays. Même pas de gouine… En même temps, on connaîtmal les relations qui ont pu s’établir et ont fonctionné entre lesbiennes et homosexuels, invertis et lesbiennes masculines, lesbiennes et gays modernes. La visibilité est meilleure dans les pays qui ont laissé se développer les études LGBTQ même si les explorations se font autour de personnalités littéraires – je pense à Noël Coward par exemple. Mais nous, que savons-nous de la relation Leduc-Genet et notamment de l’analité de Violette? La génération actuelle est tombée toute petite dans «le gay & lesbien», le mouvement mixte comme on dit. Mais les gays français, très peu traversés par les féminismes ou la critique queer des genres, politisés à l’ancienne par rapport aux pédés des années 70, continuent de s’arroger les positions de pouvoir et connaissent mal la culture lesbienne. L’inverse étant quelquefois moins vrai. C’est sans doute cette vision plaquée de la différence des sexes sur l’homosexualité, perçue comme un tout ou une simple pratique sexuelle côté fille-fille et garçon-garçon qui raidit les choses. Il y aurait l’homosexualité féminine et l’homosexualité masculine, avec tous les stéréotypes du féminin et du masculin qui reviennent au galop… C’est très vrai pour la France, ça ne l’est plus dans la culture LGBT anglo-saxonne, notamment depuis les années 90.

Si divorce il y a, quelles sont les raisons de ce divorce ?
C’est intéressant de constater la prégnance du langage hétérosexuel et matrimonial pour parler d’un couple qui n’a jamais existé. Pourquoi parler de divorce comme s’il devait y avoir mariage entre gay et lesbienne comme on marie homme et femme ? Comme s’il n’y avait pas les hommes, les femmes et le reste du monde : les drag kings, les transgenres, les butchs, les SM, les folles… Ça «communique » beaucoup entre certains gays et certaines lesbiennes, voire ça baise. Sans pour autant devenir hétéro ou avoir été mariés ou devoir divorcer. Il faut voir les choses transversalement : les gays, les transpédés et les transgouines qui ne s’identifient pas comme des hommes ou des femmes hétéronormés, ou qui cultivent des formes alternatives de masculinité et de féminité, s’entendent généralement très bien. Ils savent aussi que «gay & lesbien» n’est pas une formule qui doit renvoyer à une vision du monde et des genres binaires et ils sont bien conscients que l’on a plutôt vu s’installer du gay sans lesbien dans la presse, les médias, les «institutions» militantes… Et que le couple gay et lesbien est excluant à terme, comme tous les couples. Les partisans du divorce, (même pas du mariage !), ce sont les gays qui préfèrent continuer à favoriser leurs réseaux homoérotiques et homosociaux dans une culture gay très masculiniste, anti-folle, ce qui n’était pas le cas dans les années 70 : dans cette configuration, ils ne « divorcent » pas que des lesbiennes mais aussi de gays moins normatifs, sans parler des trans qu’ils détestent. Tout est question d’identité, d’identification et de relation aux genres. Je connais beaucoup de pédés qui s’identifient comme gouine (les gouins), socialisent avec les gouines et baisent avec des pédés ou des mecs hétéros. Nombre de gouines se sont identifiées comme pédés dans les années 80-90 car elles empruntaient à la culture sexuelle PD et SM pour sortir de l’homosensualité et des conceptions anti-patriarcales de la pénétration. Poser le problème en termes de divorce, c’est resolidifier la vieille différence entre les hommes et les femmes comme si elle était intemporelle et naturelle.L’un des apports des subcultures gaies et lesbiennes a justement été de critiquer cette différence pseudo-naturelle et le diktat hétérosexuel.

A-t-on une chance d’aller vers la réconciliation et quel est le chemin à emprunter pour cela ?
Là encore je résiste des quatre fers à la formulation «réconciliation». On est en pleine scène de ménage ! Il y a des rapports de pouvoir qui ne jouent pas en faveur des lesbiennes. On ne peut pas le nier. Il y a des conceptions de l’homosexualité (et de ce qu’est un homme et une femme) qui se sont largement déployées au XXème siècle qui ont plutôt favorisé la sororité entre femmes (hétéro et homo) et la solidarité entre hommes (hétéro et homo). Mais c’est se boucher l’horizon en continuant d’aborder les relations entre gays et lesbiennes avec un prisme hétérocentré et binaire. Il ne s’agit pas de se réconcilier mais de trouver des zones culturelles et politiques et j’insiste, pourquoi pas sexuelles, où on peut vivre et baiser autrement, produire des identités différentes. Ce qui différencie une gouine d’une lesbienne, c’est que si elle baise avec un mec et vice-versa pour un pédé, ils n’en deviendront pas hétéros pour autant. Ni hétéro ni homo mais queer. Ni homme ni femme en fonction de l’orientation sexuelle ou en fonction de critères biologiques. Si les pédés ne sont pas des hommes et si les lesbiennes ne sont pas des femmes, la réconciliation entre les soi-disant deux sexes ne présente guère d’intérêt. Elle est même limitative, pour ne pas dire régressive. En attendant, je sais bien que beaucoup de gays (et de lesbiennes mais sans les mêmes effets) maintiennent la différence sexuelle et une vision des genres binaire et simpliste. On en a des exemples tous les jours, dans la sphère intellectuelle et économique. C’est aussi parce que cette fiction est partagée, notamment par les hétéros et qu’elle rapporte beaucoup aux gays qu’ils n’ont aucun intérêt à s’en défaire.

A-t-on besoin de cette réconciliation, la guerre des sexes n’est-elle pas finalement saine et productive ?
Il n’y a pas deux sexes, pas plus qu’il n’y a deux homosexualités (féminine et masculine), pas plus qu’il n’y a le gay et la lesbienne. Pas de guerre des sexes donc à moins d’adhérer à cette guerre faite à l’image du petit jeu central de la culture hétérosexuelle : les hommes et les femmes vivent sur des planètes différentes, ce n’est que par hasard que Mel Gibson de la planète Mars entend ce qui se dit sur la planète Vénus… Le problème, c’est qu’en en parlant, on la fait exister cette guerre. Il n’y a pas de dialectique gay/lesbienne comme il y aurait une dialectique maître/esclave chez Hegel, «saine» à terme.Il n’y a pas de lutte des classes entre gays et lesbiennes! Nous devons trouver un autre vocabulaire pour définir l’exclusion des lesbiennes opérée par des gays et des lesbiennes non identifiées comme lesbiennes (c’est fréquent) et un autre scénario que celui, linéaire, du mariage, du divorce et de laréconciliation! La confrontation est peut-être nécessaire et elle change peut-être des choses (cf le problème du centre d’archives homocentré qu’est le CADHP) mais elle est souvent barrée dans l’espace public et elle ne doit pas s’épuiser dans la reconstitution du couple paritaire gay/lesbien à l’image du «couple » homme/femme. Ce serait la pire erreur que nous puissions commettre. Laparité homme/femme, gay/lesbienne est stérilisante et injuste. D’autant qu’en France, avec l’entraînement que l’on a dans le «comment-faire-semblant-d’être-paritaire », ça fait dix ans pile poil que ça dure. Delanoë ne se comporte pas autrement depuis qu’il est à la Mairie de Paris. Il a été incapable de recruter des lesbiennes et des trans comme il a recruté des gays à des postes de responsabilité. Je ne parle pas de l’action sociale ou des jardins…et il est resté sourd aux critiques visant le centre d’archives. Et ce n’est pas faute de lui avoir dit de vive voix. Viser la prolifération des sexes, des genres et des identités, des corps différents, une parité multiculturelle, multi-identitaire susceptible de changer selon les rapports de force est donc une stratégie plus vivable et plus efficace que de réconcilier deux soi-disant moitiés du monde hétéro ou homo qui n’existent pas en soi. Pas plus que n’existe l’hermaphrodite de Platon idéalement muni des deux sexes.
V.Jaime

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